Né le 22 octobre 1968, Stéphane Krause ne recule devant aucun défi, encore moins lorsqu’il s’agit de nages extrêmes. Le Breton, qui a fait de Quiberon son port d’attache, s’est lancé depuis plusieurs années dans de formidables défis en mer. Composant avec la puissance des éléments, Stéphane Krause suit une préparation minutieuse, indispensable à la réussite de ses nages en solo sans assistance.
Après s’être confié à mes soins par le passé pour le site web de Wind Magazine, Stéphane Krause s’est livré pour ce blog, au sujet de ses nages extrêmes. Au menu, une longue et belle interview exclusive de près de 40 minutes !
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–Stéphane, pourrais-tu te présenter en quelques phrases pour les lecteurs de ce blog ?
Je suis nageur extrême, spécialisé en particulier dans les nages dans les tempêtes et dans des environnements à risques, avec par exemple de forts courants, des déferlantes proches des roches… Je nage également pour aller honorer et valoriser de beaux endroits. J’exerce le métier de Cadre Technique National à la Fédération Française de Voile. Mes missions principales sont l’entraînement de l’équipe de France Funboard, ainsi que la direction du Pôle Espoirs Inshore et course au large Bretagne.
–Comment définirais-tu la nage extrême que tu pratiques ?
Les définitions de sports à risques et sports extrêmes sont variables selon les scientifiques, qui ont du mal à s’accorder là-dessus (sourire). Pourquoi ce que je fais est-il considéré comme de la nage extrême ? D’une part car cela se fait, à 90% des cas, en solo intégral sans assistance, dans des environnements où il y a du danger. Dans ces nages que je réalise, la mort n’est pas symbolique. L’erreur peut en effet être fatale. Le danger est grand, la peur est présente, c’est cela qui caractérise vraiment mon profil de nageur extrême. Il y a d’autres nageurs extrêmes qui font des traversées très longues, en maillot dans le froid, comme Stève Stievenart qui est sur un autre créneau. Il y a toujours une prise de risque dans les performances sportives (risque de perdre, de se blesser, de tenter…), mais dans mon cas, comme dans d’autres sports extrêmes, il y a une vraie relation avec le danger.
Stéphane Krause, la nage extrême comme terrain d’expression
– Qu’est-ce qui t’as poussé à te lancer dans la nage extrême ?
Je nage depuis tout jeune, dans le cadre de ma préparation physique. Je nageais beaucoup en piscine et en mer, avant de basculer vers la course à pied. Il y a une dizaine d’années, j’ai commencé à avoir des soucis articulaires et notamment de genou. Il a fallu que je diminue beaucoup, voire quasiment totalement, la course à pied. Je me suis donc remis à la natation, en me lançant des défis qui m’ont plu. En 2019, j’ai réalisé un solo intégral sans assistance en Croatie, en nageant d’île en île et en les traversant à pied. La mer était plate, mais il y avait un danger lié aux ferries et aux trafics maritimes, qui étaient très importants. Au fur et à mesure, j’ai eu l’envie d’ouvrir des voies, comme le tour de la Presqu’île de Quiberon en août 2020. J’ai été également le premier nageur à faire le tour du Mont Saint-Michel, puis le passage du raz de Sein en solo intégral sans assistance, le passage de la Pointe de Corbière à Jersey et d’autres encore… Les nages étaient de plus en plus à risques et difficiles, j’ai ainsi nagé dans des conditions de plus en plus fortes. Je faisais avant cela du funboard dans les vagues, du surf, de la voile, sans oublier mon travail d’entraîneur où tu es amené à sortir dans de grosses conditions… On va dire que cela fait quarante ans que je suis acculturé à cet environnement tempétueux. Au fur et à mesure de mes nages, j’ai donc naturellement poussé les limites, en me rapprochant des roches, en allant nager dans les forts courants, ou dans les tempêtes.

-Quelles sont les qualités à avoir pour être un bon nageur de l’extrême ?
Il faut évidemment posséder des capacités physiques, ce qui demande de l’entraînement.
Tu dois également maîtriser les aspects techniques. Nager en piscine ou en mer plate n’a vraiment rien à voir avec la nage dans du tumulte ou du chaos, cela demande donc de s’entraîner à nager dans toutes les conditions. Mentalement, il faut également réussir à contrôler sa peur, avant et pendant la performance. Si tu as peur pendant la nage, tu es complètement inhibé et il y a un fort risque d’erreurs, de perte de lucidité et de noyade.
Une qualité essentielle à avoir à mes yeux, c’est d’être capable d’analyser l’environnement.
Il y a une préparation fine, une analyse du site, sur tous les aspects, avant les nages. C’est fondamental. Je fais donc appel à toutes les connaissances météo, liées aux courants, aux phénomènes de vagues, de déferlantes ou encore de houle, que j’ai développées au travers de mes pratiques pour essayer de diminuer l’incertitude.
Même avec toutes ces connaissances, j’ai toujours des surprises malgré les prévisions et la théorie. Pendant l’action, il faut être en hyper veille totale, en permanence, c’est une autre qualité essentielle à posséder. Tu dois par ailleurs disposer de beaucoup d’humilité, ainsi que de lucidité par rapport à ton niveau de pratique vis-à-vis de la situation qu’il y a en mer. De toute manière, quels que soient les sports outdoor, dès lors qu’ils sont pratiqués en dehors de rubalises, de parcours, de bouées…, tu es obligé d’avoir cette démarche-là. Quand tu réalises une nage en solo intégral, c’est toi qui prends les décisions. Tu dois savoir estimer quand y aller et ne pas y aller, si tu dois renoncer ou non, si tu es capable de passer ce courant ou cette déferlante… Personne n’est là pour te prendre la main et te dire à quelle heure il faut y aller ou pas, et tu n’as pas de cordon ombilical avec un bateau qui te guide…
Il s’agit de ta propre responsabilité d’autant qu’il y a un risque pour ta vie, cela fait donc la différence entre le côté extrême et moins extrême.
Le défi « Presqu’île de Quiberon », un tournant pour Stéphane Krause
–Tu le disais, tu es devenu le premier nageur à effectuer le tour de la Presqu’île de Quiberon, en août 2020. Quels enseignements avais-tu tiré de cette performance ?
Il y a eu un tournant pour moi suite à cette nage, d’une part parce que j’ai parcouru 25km en dix heures. Je commençais à entrer dans des distances supérieures à la moyenne des nageurs. En plus de cela, c’était effectivement une première, on peut comparer cela à une ouverture de voie par un alpiniste. J’étais très fier de cet accomplissement, d’autant que je partais un peu dans l’inconnu. Quand tu tournes autour d’une île ou d’une presqu’île, tu dois souvent composer avec des effets météo très variables, au fur et à mesure de l’évolution de la journée. Cela demandait donc de bien préparer sa nage, pour avoir tous les repères et essayer d’anticiper les choses, en termes de trajectoires notamment. Cela m’a marqué car entre les prévisions et la réalité de ce qui s’est passé, je me suis aperçu qu’il pouvait y avoir de grosses différences. Il y avait notamment un passage où il pouvait y avoir une grosse bascule de courant. Je pensais arriver au bon moment mais j’étais en fait un peu en retard, et j’ai pris le courant de face… Le thermique s’est ensuite levé et j’ai eu droit à 20 nœuds et de la mer formée sur les trois dernières heures. Ce que je parcours en une heure d’habitude, je l’ai accompli en trois heures ! Après 21km de nage, j’en ai bavé et j’ai terminé épuisé.
Médiatiquement, il y a eu une bonne dynamique, cela a été suivi et cela a en quelque sorte lancé ma carrière de nageur extrême. Les leçons que j’en retiens, c’est qu’il faut être très humble par rapport aux prévisions que tu fais. Depuis, je rechigne à estimer la durée de mes nages, je me plante tout le temps ! En mer, tu as des courants, des contre-courants, la mer peut se lever, tu peux avoir des moments de fatigue… J’ai par exemple réalisé une nage à Guernesey, je souhaitais faire le tour et je pensais passer à la bonne heure pour le courant. Au final je suis arrivé une demi-heure trop tard, et là j’étais coincé ! Il m’a fallu une heure pour rejoindre la côte, tellement le courant était puissant et j’ai dû abandonner, après quatorze kilomètres.

–Peux-tu me parler des entraînements et de la préparation physique que tu mets en place avant chaque projet ?
L’entraînement se déroule exclusivement en mer, toute l’année et quelles que soient les conditions, dès que je peux. Cela me permet de travailler physiquement dans « ma piscine », la grande plage de Quiberon. Je fais également des séances plus longues quand je me suis fixé un challenge de longue distance. En moyenne, mes sorties « classiques » sont de l’ordre de 2,5km à 3,5km. Quand je m’entraîne pour une nage longue comprise entre 10 et 20km, mes entraînements durent 3 à 5km, tous les jours si je le peux. Quand je sais que je vais avoir une nage délicate, je me mets dans les endroits à fort courant et je nage face au courant pendant une heure. Cela permet alors de travailler à la fois le physique et le mental, je cherche à ressentir les moindres fluctuations de courant et de clapot pour essayer de progresser cm après cm. Psychologiquement, cela aide à affronter des nages dans le gros courant, tu sais que tu peux tenir longtemps à une haute intensité et tu en as alors « sous le pied ». Cela m’a sauvé la mise lors de mes nages à Jersey, au Cap Fréhel ou à la Pointe du Pen Hir entre autres…
Concernant les tempêtes, je nage dans toutes les conditions pour m’y préparer. Quand il y a du vent, de la houle, des déferlantes, je suis dedans, afin de préparer des nages qui seront très extrêmes.
–Disposes-tu d’ailleurs d’un préparateur mental ?
Pour le moment je n’en ai jamais eu besoin, j’arrive à me gérer mentalement. Nager dans toutes les conditions forge le mental, et j’ai mes astuces pour dominer la peur. Avant les défis, il y a deux types d’appréhension, deux niveaux de stress. Il y a le stress normal, comme n’importe quel sportif avant une compétition ou un évènement, un stress de ne pas réussir, de perdre, lié à l’incertitude de l’adversaire, etc… qui est positif et qui permet de mettre tous ses sens en éveil, et de donner le meilleur de soi-même pendant l’action.
Par contre, il y a aussi sur certaines nages, le stress et la peur de ne pas revenir, quand la nage comporte du danger et un risque de mort. Je me suis retrouvé dans cette situation lors du passage du raz de Sein, en solo sans assistance, dans les tempêtes ou lors de nages à proximité des rochers et dans de grosses déferlantes. Une fois à l’eau, j’ai la peur et le stress qui s’évacuent, mais il y a toutes les déferlantes à passer. Il convient donc de fournir immédiatement un effort violent, sur plusieurs minutes.
Pendant la nage, des peurs peuvent apparaître, je me concentre alors sur mon rythme, sur ma nage, afin d’évacuer les sources de peur. Dans la tempête, les déferlantes existent toujours, donc c’est un univers chaotique en permanence effrayant, mais j’essaie d’optimiser « la machine », mes performances, de me centrer sur tout ce que je dois observer pour ne pas faire d’erreur…

Stéphane Krause, un moment marquant en pleine tempête
–Qu’est-ce que cela représente d’ailleurs d’avoir défié avec succès la tempête Ciaran en 2023, dans 60 nœuds de vent et 6m de houle ? C’est une vraie expérience…
Tu sais, je me dis que j’ai effectivement vécu une expérience, une aventure extraordinaire, que j’ai réussi à sortir dans cet environnement tumultueux et que la nature m’a accepté.
Le lundi, je savais que j’allais nager le jeudi matin, car c’était au plus fort de la tempête. J’ai alors commencé à recevoir plein de messages alarmants de copains, de proches ou même de « fans » se doutant que j’allais y aller, dans un climat médiatiquement très anxiogène. Cela renforçait cette pression extérieure, et j’ai commencé à ressentir de la peur. J’ai donc coupé les réseaux sociaux et les médias, et je me suis mis dans ma bulle, concentré, deux-trois jours avant pour me sortir de toutes ces influences sociales, qui font grossir la peur. J’attendais de voir l’évolution de la météo et de la tempête. Juste avant de me mettre à l’eau, j’ai fait une analyse du site, pour estimer si je me sentais capable d’y aller. C’était énorme avec ces 6m de houle…
En 2024, lorsque j’ai affronté la tempête Caetano, il y avait près de 70 nœuds de vent mais la houle était un peu moins importante. Je me suis dit que je devais me faire confiance, afin de faire diminuer le rythme cardiaque et de me mettre à l’eau dans cet univers en furie.
On ressent de fortes décharges d’adrénaline, comme pour tous les sportifs de l’extrême, ce qui procure du bien-être et une satisfaction personnelle. Lorsque j’ai vécu quelque chose d’intense, je me dis d’ailleurs toujours : « là c’est bon, je peux mourir ». Je vis dans le présent, j’accumule les moments forts et les « cicatrices de bonheur », c’est-à-dire des évènements qui marquent mon existence. Cela me permet d’avoir une vie qui est riche, j’ai un sentiment de plénitude et j’espère bien évidemment mourir le plus tard possible…
Se lancer des petits défis, donner le meilleur de soi procure un bien-être qui est fou, cela permet d’être zen et de voir le monde positivement.
–Quels sont tes prochains projets liés à la nage extrême ?
J’ai une « to swim list », partagée entre nages extrêmes et nages dans de beaux endroits. Quand je vais nager dans la tempête, c’est un défi en soi, mais cela me permet aussi d’être au cœur d’éléments déchaînés, ce qui est quelque chose d’assez fantastique. Grâce à mes nages, je vois le monde autrement. J’espère pouvoir évoluer bientôt dans une ou deux tempêtes, il y a aussi des destinations qui m’attirent sur la planète, et où j’aimerais bien me rendre. Evidemment, je n’en parle pas, mais ce sera toujours en lien avec du courant, de la belle falaise, du récif, des beaux endroits. C’est cela qui fait ma personnalité de nageur.

Une belle philosophie de vie pour ce nageur de l’extrême
–Jusqu’à quand te vois-tu continuer à faire de la nage extrême ? Tu vis le moment présent, ou t’es-tu fixé une limite d’âge ?
Tu l’as dit, je vis le moment présent, j’en profite pleinement et on verra la suite. Les choses vont peut-être évoluer au fur et à mesure, mes nages seront peut-être moins longues ou moins dans les tempêtes, ou je ferai autre chose. Peu importe, l’idée est avant tout de vivre des expériences. Pour le moment j’en vis au travers de mes défis de nageur. Quand je ne pourrai plus nager, j’en vivrai dans un autre domaine, en essayant de continuer à pousser mes limites. J’ai besoin d’optimiser le présent ! Quand je me lève le matin, je me dis : « que vais-je faire aujourd’hui pour que ma journée soit réussie ? » Ca peut être un beau coucher de soleil, une discussion intéressante avec quelqu’un, faire mon travail du mieux possible, une nage extrême, un bon bouquin… Je ne me fixe pas de limite de temps, l’âge va me rattraper mais pour le moment, j’arrive encore à relever des défis. On verra jusqu’à où cela me conduit !
J’aimerais d’ailleurs aussi transmettre au travers de conférences, sur la préparation de nages à risque, sur la gestion du risque ou la peur par exemple, ce sont des sujets transversaux que l’on retrouve dans de nombreux domaines. Je suis en train d’écrire là-dessus et de créer des contenus.

–Quel message souhaiterais-tu faire passer à nos lecteurs ?
Globalement, je dirais que la vie est éphémère, qu’il faut essayer de vivre intensément, dans le présent et essayer de se lancer de petits challenges, tout en voyant le monde positivement. Cela demande un peu d’engagement, mais il faut tenter de se libérer des contraintes que l’on se fixe et que l’on nous met. L’objectif est également de se poser cette question : « Ce que je fais en ce moment m’apporte-t-il quelque chose ? » Vivez votre vie en apprenant en permanence. Que ce soit en confirmant quelque chose, en s’améliorant quelque part ou en infirmant quelque chose… Revenez à l’essentiel, car la vie est belle, et gagnez chaque jour en liberté !
Retrouvez les actualités de Stéphane Krause sur son compte Instagram : https://www.instagram.com/stephanekrause/
Pour conclure en beauté, voici quelques images de Stéphane Krause en action !
Copyright photos : Stéphane Krause
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