Pionnière du surf féminin en France, Emmanuelle Joly (née le 2 juin 1971) fut l’une des premières surfeuses européennes à passer professionnelle. Au fil de sa belle carrière, la Basque s’est forgé un palmarès XXL, entre titres européens, lauriers nationaux et participation au circuit mondial WCT. Emmanuelle Joly a retracé en interview, pour le blog, son sacré parcours !
–Emmanuelle, peux-tu te présenter en quelques phrases aux lecteurs du blog ?
Je m’appelle Emmanuelle Joly, je suis multi-titrée en surf. J’ai commencé les compétitions au début des années 1990, et je les ai achevées en 2006 dans le cadre de ma carrière professionnelle. Depuis 2008, je suis coach de surf pour tout public.
–Dans quelles circonstances as-tu découvert le surf ?
J’ai découvert le surf en 1987. A l’époque il n’y avait pas beaucoup de surf shops près d’Anglet, en dehors du Waimea Surf Shop, et pas véritablement d’écoles ou de clubs de surf. Je voyais quelques surfeurs à l’eau sur Anglet, qui n’étaient pas aussi nombreux que maintenant, je les regardais à l’œuvre. Cela m’a donné envie de surfer. Quand j’avais une dizaine d’années, j’avais envie de me mettre à l’eau, mais il n’y avait aucune structure. Je faisais alors beaucoup de voile et de la planche à voile, mais le surf m’a toujours attirée.
Ma mère ne voulait cependant pas que j’aille surfer toute seule, elle estimait que la mer était un environnement dangereux. A 16 ans, le surf me titillait encore et je me suis acheté ma première planche, à Waimea Surf Shop, le premier shop dans la région. C’était une époque où il n’y avait pas de réseaux sociaux, il n’y avait que six chaînes à la télévision… La Nuit de la Glisse existait toutefois déjà. C’était fantastique mais seul le surf de gros était mis en lumière, avec des performances inatteignables pour une personne qui voulait débuter le surf. J’étais en tout cas une passionnée de ce sport.
–Comment s’est déroulé ton apprentissage de la discipline ?
L’apprentissage du surf n’est pas évident, quelles que soient les époques. Il faut s’accrocher (sourire) ! J’étais d’une certaine façon une touriste à l’eau, je ne connaissais rien… J’avais fait de la planche à voile, les bases sont donc venues assez vite. Je faisais un peu de bodyboard, je savais comment prendre une vague et à quel moment la prendre. En planche à voile, je partais au vent et je n’arrivais pas à remonter. J’avais alors pour habitude de plier mon matos et de revenir à la rame, lors de mes sessions. Je ne suis donc pas partie de zéro en surf, j’étais très sportive. Je n’ai pas trop galéré techniquement, mais en fait j’ai tout appris toute seule. On ne m’avait pas expliqué les règles de priorités, on m’engueulait donc comme du poisson pourri… Je comprenais ensuite assez vite comment les choses fonctionnaient (sourire). J’étais avec une génération de surfeurs qui n’étaient pas forcément super accueillants à l’eau.
Emmanuelle Joly, une surfeuse pionnière
– Tu as été la première européenne à te lancer dans l’aventure du surf professionnel, en 1995 en allant chercher tes sponsors. Qu’est-ce qui t’as décidée à te lancer dans les compétitions internationales ?
J’ai commencé le surf en 1987, et j’ai très vite progressé. J’ai alors côtoyé des surfeurs qui m’ont dit que je devrais me lancer en compétition. J’ai ainsi participé à ma première Coupe de France, je ne connaissais rien à rien, j’ai fait plein d’interférences car j’ai pris plus de vagues qu’il ne fallait… J’ai continué à progresser et je suis entrée en équipe de France en 1991. En 1993, je suis partie en Australie pour voir comment les choses se passaient là-bas et j’ai trouvé mon premier sponsor, Victory. J’ai participé à quelques compétitions, j’ai été invitée aux Fidji par mon sponsor mais je me suis cassée une côte, et je suis revenue au bout de trois mois. C’était le début de ma carrière, puisque je suis passée professionnelle en 1995 environ.
Je détiens 4 titres de championne de France, 6 couronnes de championne d’Europe, ainsi que quelques podiums en Coupe du monde (en 1995 à Hawaii) et en championnats du monde (au Brésil en 1994, avec l’équipe de France). J’ai remporté également un WQS 5*, à Newquay (Angleterre).
– Tu possèdes l’un des plus beaux palmarès du surf tricolore. De quoi es-tu la plus fière concernant ces résultats ?
En tant que sportive, j’ai un côté insatisfait, je me dis que j’aurais pu mieux faire. Ce n’était pas évident, en fait, d’être toute seule sur le circuit. Aujourd’hui on peut aller traîner sur Internet, regarder des vidéos sur YouTube ou Instagram… En arrivant en Australie, je voyais que beaucoup d’autres filles surfaient vraiment bien, et avaient des coachs. Chez nous, nous n’étions pas accompagnées, il y avait un rendez-vous annuel équipe de France, lors des championnats du monde et championnats d’Europe. Cela n’avait rien à voir avec l’équipe de France d’aujourd’hui. Nous étions donc seuls, ce n’est pas une situation évidente et nous n’avions pas forcément de retour, en aval et en amont, sur notre surf et nos performances.
Il faut par ailleurs composer avec la pression et la fatigue. Même si aujourd’hui les riders sont davantage accompagnés par les coachs, le surf reste globalement un sport individuel, dans sa pratique et en compétition.
De beaux souvenirs sur le WCT
– Quels souvenirs marquants conserves-tu de tes années sur le WCT ?
Je ne m’en rendais pas compte sur le moment, mais effectivement j’ai participé à des compétitions telles que Bells Beach, Margaret River, J-Bay… Je me suis rendue dans des endroits fantastiques. Ma fille (Uhaina Joly, ndlr) a eu la chance, elle aussi, de réaliser de superbes voyages pour des compétitions en QS, et d’affronter de grandes surfeuses internationales. Désormais, le QS est divisé en compétitions régionales, et si tu ne perces pas ton nombre d’épreuves est limité à Caparica, Pantin et Anglet… Tu restes alors entre Européennes (qui ont cependant déjà un très bon niveau), mais tu ne feras pas les QS qu’Uhaina a pu faire, en Australie ou en Afrique du Sud… J’ai eu cette chance également d’être deux années de suite sur le CT, et d’évoluer dans des endroits magnifiques avec les meilleures surfeuses du moment. Je pense notamment à Lisa Andersen (quadruple championne du monde WCT, ndlr), Layne Beachley (septuple championne du monde, ndlr), ou encore Keala Kennelly (qui fut vice-championne du monde, ndlr). J’ai arrêté au moment où Stephanie Gilmore (huit fois championne du monde, ndlr) et Sally Fitzgibbons arrivaient sur le Tour. Quelques années plus tard, ma fille a pris la suite ! Elle est championne du monde par équipes, a remporté un QS à Taïwan et a obtenu quatre titres de championne de France (notamment en Open, chez les grandes). C’est un très beau palmarès. Je crois d’ailleurs que nous sommes le seul couple mère-fille à afficher ces résultats, en surf.
– Tu as également brillé en tant que membre de l’équipe de France de surf, avec notamment une 4e place aux championnats du monde ISA. Qu’avait représenté cette 4’ place à tes yeux ?
J’avais été déçue, j’étais tellement stressée que je n’ai pas « vu ma série ». Nous sommes 4 en finale, donc on est quoiqu’il arrive sur le podium, mais la 4e place n’est pas la meilleure, ce n’est celle que l’on préfère. C’est la dernière place de la finale (sourire). On se bat tout au long de la compétition pour arriver en finale, mais lors de celle-ci, il n’y a qu’une place qui compte ! Je suis complètement passée à côté de ma série, j’ai perdu les pédales. J’étais tellement stressée que je n’ai pas vu le temps passer, je n’ai pas réussi à bien surfer les vagues que j’ai prises.
– Quels sont les spots que tu as adoré surfer au cours de ta carrière ou de tes trips ?
J’adore l’Australie, je n’y ai pas forcément surfé les meilleures vagues mais j’adore l’ambiance, le lifestyle. Il y a du niveau à l’eau et c’est dur de prendre sa vague, mais j’aime cette destination. Je la mets dans mon « Top One » (sourire) !
– Quel regard as-tu porté sur les performances de Kauli Vaast et Johanne Defay lors des Jeux Olympiques 2024 ?
J’ai eu la chance de pouvoir commenter les J.O. sur Eurosport, en direct. Je ne dirais pas que la performance de Kauli était attendue, mais s’il y avait un coup à jouer pour lui, c’était quand même lors de ces Jeux (les épreuves de surf ont eu lieu à Tahiti, sur le spot de Teahupo’o, ndlr). Il a assuré tout au long de la compétition, le fait d’évoluer à domicile aurait pu lui mettre la pression. C’est une vague tellement spécifique que quand on la connaît, on a quand même un avantage, encore plus à Teahupo’o. Devenir champion olympique à son âge, c’est formidable, Kauli a vécu quelque chose d’incroyable. Il est ensuite revenu au Club France et a reçu un magnifique accueil. Ce sont des moments uniques dans une carrière. Quant à Johanne, elle a prouvé depuis je-ne-sais-combien d’années de présence sur le CT (sa première saison complète date de 2014, ndlr) qu’elle est toujours performante sur les épreuves. A Tahiti, elle est arrivée sur une vague qui n’est pas la sienne, sur laquelle elle s’est peu entraînée, avec la pression que cela implique… Terminer à la troisième place était donc un résultat fantastique, d’autant qu’elle est en fin de carrière et qu’elle est désormais enceinte. Johanne est un exemple, elle a fait ses preuves depuis un bon moment. Je me rappelle encore de sa victoire lors de son premier Pro Junior, j’étais sur place avec Uhaina. Johanne avait enchaîné avec une deuxième place sur le QS, elle s’était qualifiée sur le CT et depuis, elle n’est jamais redescendue. Les grands champions doivent faire preuve de constance, c’est la qualité de filles comme Sally, Steph et bien d’autres. La régularité est le facteur le plus important quand on évolue sur le World Tour.
Emmanuelle Joly, son regard sur le surf féminin
– Te « reconnais-tu » (au niveau de ton surf par exemple) dans certaines surfeuses actuelles ?
Cela fait cinq ans déjà que le niveau du surf féminin a monté, les filles proposent un surf fantastique. Depuis un ou deux ans, une nouvelle génération de surfeuses, comme Tya Zebrowsky, est arrivée. Elles surfent le petit, le gros, elles posent de nouveaux tricks… C’est très plaisant à voir. Quand on regarde une compétition, on s’intéresse à l’enjeu, aux « battles » qu’il y a. Il peut y avoir des séries hommes ennuyeuses et des séries femmes super excitantes, comme en tennis par exemple. Je me reconnaîtrais peut-être, en termes de style, dans Steph Gilmore, « The Queen » ! Je me reconnais moins, c’est sûr, dans celui de Tyler Wright, qui surfe en puissance, ce qui n’est pas du tout mon surf.
– Tu es aujourd’hui reconvertie en tant que coach personnelle de surf. Peux-tu me détailler un peu en quoi consiste ce coaching ?
Je propose ce coaching pour tous niveaux de surfeurs, mais j’ai quand même un palmarès et de l’expérience, mon prix n’est donc pas le même qu’un cours de surf de groupe d’une école de surf classique. Je fais de l’accompagnement individualisé, je vais chercher les gens et je les emmène au bon endroit au bon moment, dans les Pays Basques ou les Landes. J’ai de temps en temps des demandes spécifiques et j’emmène alors les gens en voyage, au Maroc, au Ski Lanka, aux Philippines, en Australie…
Je donne des cours à des familles, à des groupes d’amis, j’ai parfois recours à un moniteur supplémentaire si les niveaux sont différents. Je suis un peu un Surf Guide, comme on peut le trouver en ski à Courchevel. Je travaille beaucoup avec une clientèle russe, ukrainienne, quelques espagnols, en fait des gens qui ont l’habitude d’avoir des profs particuliers pour leurs enfants ou eux-mêmes. J’ai également une petite clientèle de la région, qui souhaite progresser.
J’ai par ailleurs quelques demandes de séminaires, en général au printemps ou à l’automne. Dans ce cadre, nous faisons avec les conditions qu’il y a tel jour à telle heure. C’est un peu comme en compétition (sourire) ! Ce sont toujours des moments de partage enrichissants, les gens adorent découvrir le surf dans notre belle région. Quand des gens viennent en été ou sur une semaine, c’est bien de trouver les vagues sur lesquelles ils vont progresser. Parfois tu as 30cm, et là c’est parfait pour apprendre le surf !
– Que peut-on te souhaiter pour la suite ?
De surfer le plus longtemps possible à mon niveau, sur mes petites planches (sourire) !
Le plus dur avec le sport de haut niveau, c’est de vieillir. 50 ans c’est un grand tournant, et comme je passe beaucoup de temps à l’eau, il est certain que tu n’enchaînes pas de la même façon que quand tu as 20 ans.
– Quelque chose à ajouter ?
Le surf est un sport merveilleux , tu es en extérieur, connecté avec l’océan. Il offre un magnifique sentiment de liberté. Le surf est vraiment adapté aux filles, il suffit de trouver le bon endroit et le bon moment, qui conviennent à son niveau de surf et à ce que l’on veut faire. Nous ne sommes pas toutes obligées de rechercher les grosses vagues, comme Justine Dupont.
De nos jours le matériel est très varié et chacun peut trouver la planche à son niveau qui va lui permettre d’aborder ce sport exigeant et d’y prendre rapidement du plaisir.
De plus, les shapers comme chez RT sont à notre écoute et capables de faire des planches adaptées pour les filles.
Elles ne sont pas tenues de se limiter à essayer de faire du longboard car ces grosses planches lourdes tournent difficilement et sont potentiellement dangereuses, non maitrisées sur les spots encombrés.
Moi qui suis beaucoup à l’eau, j’apprécie les filles qui vont l’effort de ramer un petit peu plus pour accéder aux vagues en sécurité !
Pour plus d’informations sur Emmanuelle Joly :
https://www.emmanuellejoly.com/
https://www.instagram.com/emmanuelle_joly_surf_coach/
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Crédit photo de Une : @la_malinde
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