Sportif de haut niveau en para surf, Eric Dargent compte quatre titres de vice-champion du monde. Le Martégal de 47 ans a vu sa vie basculer en 2011 lorsque, suite à une attaque de requin à La Réunion, le surfeur s’est retrouvé amputé fémoral. Eric Dargent s’est reconstruit grâce au surf, se lançant quelques années plus tard dans les premières compétitions para surf. Eric Dargent s’est confié en interview exclusive pour le blog !
-Eric, peux-tu te présenter en quelques phrases aux lecteurs du blog ?
Je m’appelle Eric Dargent, j’ai 47 ans, je suis né à Martigues et aujourd’hui je suis à la fois infirmier (je travaille en libéral dans un cabinet), sportif de haut niveau en para surf, et conférencier pour des entreprises ou des écoles. Mes interventions sont alors liées à la sensibilisation au handicap ou au dépassement de soi. Je suis également en train de créer un centre de sport santé à Martigues, chez moi à Ponteau. Je suis surtout passionné de la mer, de surf, de glisse. Sur le bord de la Méditerranée il n’y a pas toujours de vagues mais il y a du vent, j’alterne donc entre différents sports. Je pratique également le skate, le VTT et le snowboard.
– Dans quelles circonstances as-tu découvert les sports de glisse nautiques, et le surf en particulier ?
La veille de mon accouchement, ma mère était allée se baigner, cela explique donc peut-être mon amour aussi fort de la mer (sourire). Mes parents aimaient beaucoup aller au bord de l’eau, les mercredis et les week-ends. Lorsqu’ils travaillaient, on partait pique-niquer près de la mer, l’été. J’ai donc grandi au bord de l’eau, avec des moments de jeu, de nage, de plongée, de pêche… Les vagues m’ont très rapidement intrigué, j’aimais aller plonger dedans quand elles étaient là. J’ai démarré avec le bodyboard, cette petite planche sur laquelle on demeure allongé, avec des palmes. J’ai pris mes premières vagues grâce à ça, j’avais environ 7 ans. Ma première vague m’a procuré une sensation incroyable, et je n’ai eu qu’une seule envie : retourner à l’eau !
Petit à petit j’ai grandi et j’ai acheté ma première planche de surf, je devais avoir 13 ans. J’ai alors découvert les spots de surf en Méditerranée, principalement en hiver. A l’époque il fallait appeler le sémaphore de Martigues ou la météo marine, et bien regarder la météo afin de voir s’il les vagues étaient annoncées. Je garde également en mémoire les copains, les premiers voyages à l’âge de 16 ans jusque dans les Landes et le pays Basque. Avec les avions, les voyages ont ensuite commencé à aller beaucoup plus loin, que ce soit au Maroc, en Espagne, au Portugal, les Caraïbes, l’Indonésie… Je n’ai fait qu’être passionné de l’océan et du surf, depuis mon plus jeune âge.
-Tu as à un moment donné décidé de partir à La Réunion pour y vivre. Tu as alors subi, quelques mois plus tard, en février 2011, une attaque de requin pendant que tu surfais. Dirais-tu que le surf a alors agi comme un moteur pour ta reconstruction ?
Le surf a agi tout au long de ma vie. Ce départ à la Réunion était motivé par l’envie de travailler là-bas, mais c’est aussi le surf qui m’y a attiré. La Réunion dispose en effet de vagues de classes mondiales, avec un environnement incroyable et une forte dimension culturelle. Suite à mon accident, le surf a en effet été l’un des éléments moteurs primordiaux pour me permettre de retrouver un équilibre. Cela n’a pas été le seul. J’avais bien sûr ma famille, mes enfants, mes amis, mon travail et les gens qui m’entourent, tout ce que j’avais construit avant mon accident. J’avais également créé un club de surf, Lou Martegue, avec des amis à Martigues. Lors de l’accident, quand j’étais sur la plage en attendant les pompiers, je voulais déjà surfer à nouveau. Je ne pouvais pas imaginer ma vie sans le surf. C’était mon addiction, mon équilibre de vie. Je sentais déjà que j’allais avoir besoin de cet équilibre de vie, avec toutes les difficultés que j’allais rencontrer à cause de mon handicap.
Je me suis retrouvé amputé fémoral, sur la jambe gauche et au-dessus du genou.
Ma vie a basculé, avec toutes ces difficultés qui sont arrivées petit à petit. Les sports de glisse que je pratique, et le surf en particulier, ont été véritablement un tremplin pour retrouver mon équilibre de vie.
Eric Dargent, une magnifique résilience
–Moins d’un an après l’attaque, tu es retourné surfer, avec une prothèse que tu avais bricolée. Quelles sensations as-tu ressenti lors de cette session de reprise ?
Avant même de reprendre le surf, j’étais retourné très rapidement à l’eau. J’avais besoin de ça. La première fois que j’y suis retourné, je suis monté sur un paddle et j’ai ramé, en restant à plat ventre. Je suis allé au large, je me suis immergé dans l’eau, j’avais besoin de sentir que je n’aurais pas de craintes de retourner dans l’eau. La première fois que j’ai nagé dans la mer, j’ai ressenti du pur plaisir. J’oubliais mon handicap, je me sentais flotter, l’eau me touchait le corps et c’était magique ! J’ai su tout de suite que ce serait ma thérapie, mon moyen de retrouver cet équilibre. Je me suis alors demandé comment j’allais faire pour surfer de nouveau. Il me fallait de l’appareillage, j’avais besoin des autres pour avancer. J’ai trouvé un prothésiste sur Marseille, Bertrand Tourret Couderc. Il a été à mon écoute et m’a aidé. Il m’a prêté très rapidement une prothèse mécanique, pour aller dans l’eau. La prothèse n’était cependant pas du tout adaptée à la reprise du surf. Toujours est-il que cela m’a permis de démarrer, mais les premiers instants ont généré de la frustration et des échecs. Je chutais, je repartais sur une planche pour débutants (large, épaisse, en mousse) et je n’arrivais plus à me mettre debout. Il a donc fallu que je réinvente ma manière de me lever, de prendre des vagues. Quoiqu’il en soit, sans me mettre debout, j’ai néanmoins réussi à prendre des vagues dès le départ, et à glisser. Le plaisir était là, il était énorme et représentait une sorte de revanche sur ce qui m’était arrivé. Je prenais des vagues allongé, mais personne ne pouvait m’enlever ce plaisir de retourner dans l’eau…
Cette difficulté à utiliser la prothèse m’a aussi poussé à essayer de comprendre ce qui n’allait pas, ce que je pouvais améliorer et par quels moyens la modifier.
Rapidement, j’ai trouvé les moyens du bord dans mon garage, et j’ai réussi à recréer une flexibilité du genou sur cette prothèse. Cela m’a permis de réussir à tenir debout sur la planche de surf, à prendre des vagues dans une position un peu fléchie. J’ai au fur et à mesure trouvé des moyens d’améliorer cette prothèse, en développant des prototypes. Cela m’a permis de pratiquer le surf de manière plus performante et de réussir à resurfer des vagues de plus en plus techniques et grosses, et à réaliser à nouveau certaines manœuvres.
Cela fait maintenant 14 ans que j’ai été amputé et je continue de progresser et d’évoluer dans mon surf, grâce à des améliorations au niveau de la prothèse, dans ma manière de l’utiliser, ou dans les planches.
– Une entreprise française de prothèses, Protéor, t’avait d’ailleurs aidé je crois à créer une prothèse spécialement adaptée au surf, c’est bien ça ?
En effet, Protéor (entreprise basée sur Dijon) m’a très rapidement soutenu, ils m’ont prêté des genoux et se sont investis à mes côtés sur le projet d’élaboration d’un nouveau genou, que nous avions mis en place avec une école d’usinage mécanique à Salon-de-Provence. Nous avions créé un prototype, cela a pris plusieurs années, qui a été finalisé par Protéor et qui est encore commercialisé, dix ans plus tard. C’est un plaisir de créer quelque chose pour soi-même et qui est ensuite également utilisé par d’autres, notamment dans les sports nécessitant une flexion du genou.
Je remercie en outre Patrice Baraterro, qui est amputé fémoral (il a participé aux Jeux Paralympiques de Sochi 2014, en para snowboard, ndlr). J’ai aussi également travaillé avec lui, pour l’élaboration de la prothèse.
Ce genou a également été conçu grâce à un projet de mon association Surfeurs Dargent. Cette association œuvre à la fois dans le but de faire évoluer des prothèses de genoux, et d’organiser des évènements. Nous accueillons des personnes en situation de handicap et les appareillons lors de ces journées, afin de les initier au surf.
-Quels évènements avez-vous notamment mené à bien au sein de ton association ?
Nous avons créé des évènements intitulés « Surfeurs Dargent », clin d’œil au super-héros Marvel. Les gens qui participent vont se dépasser, dépasser leur handicap, leurs difficultés. Ils vont alors réussir à surfer, que ce soit allongés, à genoux ou debout. Ils font partie après cela de cette équipe Surfeurs Dargent.
Nous ne sommes pas une énorme association, nous proposons en moyenne entre 3 et 5 évènements par an. Ce sont des évènements soit de paddle, soit de surf, de wakeboard, nous avons également proposé des évènements ski et snowboard.
Nous avons cependant organisé un certain nombre de manifestations depuis la création de l’association, en 2011.
Nous avons également communiqué au travers d’interventions dans des écoles, de réalisations de films. L’association a déjà créé 3 films, donc le dernier, Ora, a bien fonctionné grâce à la réalisation d’Avalon Creative, un ami. Ce film retrace l’histoire de trois personnes avec un handicap : une personne sourde, une personne amputée de bras et moi-même, amputé fémoral. On part jusqu’à Tahiti pour participer à un évènement là-bas, et nous rencontrons des associations, des personnes amputées qui souhaitent s’initier au surf et qui nous font découvrir leur sport. Ce film Ora a reccueilli beaucoup de prix dans les Festivals, nous sommes très contents du résultat et de l’impact de ce film.
Eric Dargent, devenu un formidable champion de para-surf
– Comment t’es venue l’envie de participer à des compétitions para surf, toi qui n’était pas spécialement tourné jusque-là vers la compétition ?
C’est vrai que je n’étais pas vraiment tourné jusque-là vers la compétition. Le surf était à mes yeux un sport de liberté, je n’avais de toute manière pas le niveau pour réussir à rivaliser sur des compétitions de surf. Mon niveau me permettait cela dit de surfer tous types de vagues.
Suite à mon accident et mon amputation, je me suis dit dès ma reprise du surf que participer à des compétitions serait un joli moyen de promouvoir les prothèses, et pourquoi pas utiliser la compétition pour communiquer, notamment sur le fait que l’on peut resurfer en étant amputé fémoral. Le premier championnat qui a été créé a eu lieu en 2015, il s’agissait du championnat de France, et le championnat du monde s’est également mis en place. Le début des compétitions para surf ne date donc pas de tant d’années que ça. J’ai pu participer à quasiment tous les championnats de France, et à tous les championnats du Monde.
C’est juste fantastique de faire partie de cette équipe de France, participer à des Mondiaux où l’on rencontre des riders venus des quatre coins du monde. C’est grisant de pouvoir rivaliser avec eux et de pouvoir essayer de se dépasser. J’ai appris à me concentrer sur mon surf, à essayer de l’améliorer, et j’ai pris beaucoup de plaisir dans le fait d’essayer de progresser. La compétition m’a poussé personnellement à aller de l’avant, à essayer de finir sur les podiums.
Et, en même temps, elle m’a permis de créer des projets et de trouver des partenaires pour ces projets, tels que des évènements de l’association. J’ai des partenaires qui me suivent aujourd’hui pour le wingfoil.
La compétition m’a permis aussi de participer à ce tremplin qui, aujourd’hui encore, me permet d’avancer et d’avoir de nouveaux projets. J’ai pu finir quatre fois vice-champion du monde, j’espère un jour monter sur la plus haute marche. Nous sommes déjà devenus deux fois champions du monde par équipe, en 2023 et 2024. Devant les Etats-Unis, le Brésil, ce n’est pas rien ! Ces pays comptent en effet de nombreux bons surfeurs, et nous sommes passés devant eux. On est fiers d’avoir pu réaliser cela, d’être repartis avec ces médailles d’or, et d’avoir représenté la France. Le temps passé devant l’eau et les efforts demandés pour en arriver là sont importants.
– Tu as en effet récolté de multiples titres de champion de France, un titre de champion d’Europe et quatre titres de vice-champion du monde en individuel (2016, 2017, 2020, 2023). Quels sont les souvenirs les plus marquants que tu gardes de ces évènements ?
Il y en a plein, à la fois des beaux et des plus difficiles. Quand on arrive deuxième c’est toujours un peu rageant, il y a toujours cette frustration de ne pas être arrivé à bout. Les plus beaux sont surtout liés à l’équipe, et ce soutien mutuel, ces rencontres avec d’autres personnes qui sont devenues des amis. Le premier championnat du monde avait donné lieu à une superbe cérémonie. Il y a des instants forts pendant une cérémonie, notamment celui où chaque athlète amène un bocal avec du sable à l’intérieur et ce sable est rassemblé à l’intérieur d’un aquarium. Chaque moment est fort, intense, notamment sur l’eau où l’on se retrouve parfois contre un ami.
Certaines personnes m’ont également permis de rebondir après mon accident, je pense à Ismaël Guillorit par exemple. Il est amputé tibial, a une association sur Royan et m’a dès le départ aidé et soutenu. On s’est ensuite parfois retrouvés l’un contre l’autre en compétition, c’était beau de partager ces moments… même si l’on garde l’envie de s’imposer !
Avant de partir sur une finale à 4, tout le monde s’encourage et ce sont des moments précieux.
– De quoi es-tu le plus fier concernant tes différentes performances ?
Je suis heureux de ce que je fais, j’essaie de vivre de la manière la plus passionnée possible, notamment dans mes projets. Je pense que je peux être fier d’essayer de vivre avec ma passion, et de la partager, que ce soit lors de sessions surf avec des amis ou avec mes enfants.
Je crois vraiment dans le sport comme moyen de bien-être, d’équilibre. On commence à peine à évoquer ce sport-santé, qui agirait sur les pathologies, le corps et l’esprit. J’espère donc mener à bien mon projet lié au sport-santé !
Le sport santé, le nouvel objectif d’Eric Dargent
– Que peux-tu justement nous dire sur ce projet de sport santé ?
J’ai envie de le créer depuis un moment. J’avais réussi en 2014 les pré-requis pour devenir prof de surf, mais je n’avais ensuite pas pu faire la formation. Suite à cela, j’avais repris mon travail d’infirmier et j’avais avancé sur d’autres projets. J’ai aujourd’hui envie de changer un peu de vie, d’autant que je peux constater que le métier d’infirmier est très dur physiquement. J’ai donc cherché quelque chose qui me passionne, et dans lequel je puisse aménager quelque chose qui me corresponde. Le sport-santé répond à cela, la mer est d’ailleurs un moyen de thérapie en elle-même, et on sait les effets bénéfiques de l’activité physique. Le paddle est quelque chose de très intéressant, notamment pour les personnes qui craignent d’être dans l’eau.
Le sport-santé s’adresse particulièrement aux personnes ayant des pathologies chroniques, sur prescription médicale elles pourront alors faire de l’activité sur l’eau.
Dans cette prise en charge, il y a également des moments d’échauffement et de relaxation, qui permettent à la fois de faire du bien au corps mais aussi à la tête.
Le sport permet ainsi de se sentir capable de faire des choses, et de se sentir vivant.
Ce centre est créé chez moi, sur Ponteau à Martigues, j’espère qu’il sera lancé début juin. J’accueillerai les gens et je les emmènerai sur la mer, qui est à 50m de chez moi.
– Quelles sont tes échéances sportives à venir ?
La prochaine échéance est une compétition Open à Biarritz, fin mai-début juin. Je participerai ensuite aux championnats de France en octobre, puis je l’espère au Championnat d’Europe mais nous n’avons pas encore les dates. En fin d’année se déroulera le championnat du Monde, nous attendons également les dates. Mon objectif sera d’aller jusqu’au bout au championnat du Monde, pour devenir champion ! J’ai commandé une nouvelle planche de surf, avec un grand shaper qui est sur Bidart, Axel Lorentz. On travaille ensemble afin d’élaborer des planches les plus adaptées à mon handicap, qui me permettront de réaliser des manœuvres très radicales.
Etre radical dans les vagues est en effet indispensable pour se qualifier jusqu’à la finale, en compétition.
– Un message à faire passer aux lecteurs du blog, pour conclure cette interview ?
Etre passionné par ce que l’on fait est très important. Ce n’est pas toujours simple mais lorsque la passion nous guide, c’est là que l’on arrive à prendre le plus de plaisir possible, et à réaliser de belles choses. Cela peut être des choses toutes simples : découvrir un sport, être au bord de l’eau, passer du temps avec ses amis et sa famille, ou encore de prendre le temps de faire des choses qui nous remplissent.
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Une belle vidéo consacrée à Eric Dargent, par Horue Movie (2016)
En savoir plus sur Le blog de Nicolas Arquin, dédié aux sports extremes et de glisse
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