Interview réalisée pour meltyXtrem.fr – Anaïs Caradeux

Durant trois mois, à l’été 2014, je fus journaliste stagiaire pour le site web meltyXtrem.fr, aujourd’hui disparu. Une formidable expérience puisque je fus notamment envoyé sur plusieurs gros évènements (dont le Swatch Girls Pro France 2014), et réalisai quelques interviews importantes par la suite, en tant que freelance. Je me souviens notamment de l’entrevue ci-dessous avec Anaïs Caradeux, alors star (n°5 mondiale) du ski halfipe et à la brillante carrière (finaliste des Jeux Olympiques de Sochi 2014). La Française fut néanmoins obligée de passer par la case « crowdfunding » pour financer sa saison 2015…

Ces derniers mois, la skieuse Anaïs Caradeux a affronté plusieurs épreuves dans sa vie de sportive. Tout d’abord une commotion cérébrale, jeudi 20 février aux Jeux de Sochi, qui l’a privée de la finale en halfpipe. Un rêve olympique envolé en une seconde pour Anaïs Caradeux, comme elle nous l’avait confié à l’époque. La rideuse française a ensuite subi, en avril, une chirurgie du cartilage du genou, et un éloignement forcé des pistes. Anaïs Caradeux s’est relevée avant de vaciller suite au retrait brutal de Nordica de la scène freestyle. Depuis, la rideuse de La Clusaz tente de reconstituer son budget pour la saison à venir. Une saison importante puisque la n°5 mondiale en ski halfpipe vise la victoire aux Championnats du Monde 2015, après sa médaille d’argent obtenue en 2013. Anaïs Caradeux a donc lancé une collecte de fonds sur Fosburit, un site de crowdfunding, afin d’obtenir les financements nécessaires. De passage à la rédaction de meltyXtrem, Anaïs Caradeux a évoqué pour nous sa situation, avec franchise et bonne humeur.

Avec la skieuse freestyle Anais Caradeux, après une interview meltyXtrem
Avec la skieuse freestyle Anais Caradeux, après une interview meltyXtrem

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Anaïs, comment en es-tu arrivée à cette démarche de levée de fonds ?

J’ai perdu, fin septembre, un de mes principaux sponsors et la moitié de mon budget. J’ai passé le mois d’octobre à frapper à toutes les portes des équipementiers, dans le but de trouver un autre partenaire pour l’hiver. Malheureusement, il était déjà trop tard. Tous les budgets sont définis fin juillet maximum, aucune marque ne pouvait me soutenir à ce moment de la saison. Je m’en suis donc remise à mes fans, à ma famille et à mes amis. Via ma levée de fonds, je n’ai demandé qu’une partie de cette somme que j’ai perdue. En resserrant mes dépenses, cela me permettra de financer ma saison, grâce à mes autres sponsors.

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A partir de quand ta recherche de sponsors intervient-elle habituellement ?

Normalement, à la sortie de l’hiver, il faut commencer à contacter tout le monde, sauf si avec un peu de chance on vient frapper à ta porte (rires). C’est un travail à l’année, on côtoie les dirigeants de l’industrie du ski sur tous les événements. Certains responsables ont regretté que je les contacte tardivement, mais ils ont été intéressés par mon profil. Nous allons garder contact pour l’hiver prochain, il faut désormais voir comment ma saison va se dérouler.

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Comment as-tu vécu ce retrait tardif de ton sponsor principal ?

Nordica s’est en fait complètement retiré du ski freestyle, leur décision n’était donc pas dirigée contre moi. Après huit années de collaboration, cela fait quand même un petit choc. Nous avions de bons résultats ensemble, la machine était « bien huilée »… Désormais, j’ai hâte de trouver un autre sponsor afin de partir sur un nouveau projet et vivre de nouvelles aventures.

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Quel est justement ton état d’esprit actuel ?

Je me rends compte que tout ce qui m’est arrivé ces six derniers mois m’a fait énormément grandir. En quelque sorte, j’ai fait face à tous mes « démons » et à mes plus grandes peurs. Dans l’affaire Nordica, je suis un peu une victime collatérale, mais cela m’a montré que j’étais, peut-être, plus forte que je ne le pensais. J’espère que ces expériences vont m’aider cet hiver !

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Être sportive de haut niveau aide t-il à gérer ces moments-là ?

Je dirais que dans la carrière d’un sportif, il n’y a aucune certitude. En une demi-seconde, ton rêve peut s’envoler, tes sponsors peuvent te quitter, tu peux te blesser et perdre tes acquis. Il suffit d’une saison en demi-teinte pour que tout soit remis en question. Tu es toujours sur la corde raide, sans aucune assurance ni fil pour te retenir. Il faut avoir confiance en soi, en ses capacités. J’ai été mise à rude épreuve ces derniers mois. A certains moments, je me suis demandée si, à 24 ans, j’avais vraiment envie de continuer le ski freestyle. Mais le sentiment d’inachevé a pris le dessus, je repars désormais sur un projet, Pyongyang 2018.

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Le bon démarrage de ta campagne (51% des fonds collectés au 20 novembre) te rend-elle plus sereine ?

Non, car dans ces 50%, il y a 20% de dons qui proviennent de ma famille et de mes amis. C’est mentalement dur de faire une levée de fonds car je suis censée être, pour les gens, quelqu’un qui a réussi sa carrière. Devoir demander de l’argent pour aller voyager aux quatre coins du monde, c’est un peu délicat à vivre. Je pense malgré tout offrir aux contributeurs un bon retour sur investissement, grâce aux contreparties associées aux dons. Je m’implique pour inciter les internautes à rejoindre cette aventure, elle permet également de me connecter davantage aux personnes qui suivent mes résultats et mon actualité. Une proximité se crée avec eux, j’en suis heureuse ! L’important, c’est que les donateurs aient l’impression de faire partie de l’aventure, en recevant mes mails, mes photos… Car je veux les remercier de leur geste.

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Plusieurs skieurs se sont récemment tournés vers le crowdfunding, comme Kevin Rolland et le Freeski Project, ou Perrine Laffont. Comment expliques-tu cela ?

L’industrie du ski et du snowboard subit une grosse crise du fait de quelques mauvaises saisons, un marché parallèle s’est développé avec les locations de matériel et les foires au ski. Finalement, très peu de personnes achètent aujourd’hui des skis neufs, la perte de clientèle est énorme. Les équipementiers ont donc du mal à s’y retrouver financièrement, surtout dans des sports de niche comme les nôtres. Quand il y a des coupes budgétaires, les sportifs se retrouvent en première ligne.

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Le financement participatif est-il aujourd’hui une vraie alternative au sponsoring sportif traditionnel ?

Je pense que cette démarche peut être faite lorsque l’on est vraiment, en tant que sportif, au pied du mur. C’est effectivement un nouveau moyen, pour nous, de collecter des fonds pour financer notre saison et poursuivre une carrière. Personnellement, les dons me serviront à payer ma coach et mes billets d’avion. Mais avant de lancer une campagne de crowdfunfing comme celle-là, il faut un à deux mois de travail préalable, aller voir tous les sponsors… On peut avoir l’impression que mon projet Fosburit représente juste une page web, avec trois lignes de texte et deux photos, mais ce n’est pas du tout ça. Certains de mes amis ne roulent pas sur l’or, ils m’ont fait un don car ils croient en moi, ils ont confiance en moi et en mes capacités d’aller chercher la médaille aux championnats du monde 2015. Cela dit, il y a une multitude de levées de fonds actuellement, les gens commencent à être submergés par toutes ces demandes. Quand j’ai lancé ce projet, j’ai donc dû expliquer en détail ma démarche et les raisons qui m’ont poussée vers le crowdfunding, car il y a eu une incompréhension totale.

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Une incompréhension liée à ton statut de finaliste des Jeux Olympiques de Sochi ?

Voilà, c’est la première chose que l’on me dit généralement. « Pourquoi une levée de fonds maintenant ? Tu sors des Jeux, avec la saison la plus médiatisée de ta vie de sportive… » Je leur réponds que malgré ces résultats, cela n’a pas débouché sur des collaborations concrètes. Tous les médias sont désormais focalisés sur les Jeux d’été et l’industrie du ski ne va pas mieux juste parce qu’il y a eu les Jeux d’hiver… La situation est, encore une fois, délicate et je dois bien expliquer les choses.

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As-tu l’impression que les sports freestyle sont laissés à l’abandon après chaque Olympiade d’hiver ?

Je pense que tout fonctionne par cycles. Les JO de Sochi étaient les premiers Jeux du ski freestyle, on s’attendait un peu à ce que des grosses sociétés comme Nike ou Nordica se retirent ensuite. A l’époque, elles sont entrées dans le milieu pour construire leur image de marque et accroître leur notoriété. Aujourd’hui, notre sport s’ouvre au grand public avec par exemple Wheelz qui est entré dans la « piscine des sponsors. » Il y a également l’UCPA (dont Anais Caradeux est la nouvelle ambassadrice depuis le 17 novembre,ndlr) qui organise des sessions et stages freestyle pour rendre notre discipline accessible à tous. Quand il y aura beaucoup plus de pratiquants, les marques auront un intérêt à revenir. C’est un cycle.

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Quel a été l’impact des Jeux de Sochi pour toi ? T’ont t-ils aidée à trouver des sponsors ?

Ma présence aux Jeux ne m’a pas permis de signer de nouveaux partenariats, mais être à Sochi m’a offert une visibilité dont je me sers aujourd’hui. Lorsque je participe à des actions avec « Keep a Breast » (fondation luttant contre le cancer du sein,ndlr), il y a davantage de médias qui me répondent et de public à l’écoute. Je fais aussi du freestyle pour inspirer les jeunes qui veulent faire du ski, ou n’importe quel autre sport. L’important, c’est que mon message passe auprès du plus grand nombre. Ce message, c’est de croire en soi, de se donner les moyens d’atteindre son rêve, il n’y aucune raison de ne pas y arriver. Cela ne tient qu’à toi d’être maître de ta vie et de ton avenir, par le travail. Derrière, il y a parfois des médailles qui arrivent (rires).

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Et quel a été l’impact des Jeux pour ton sport ?

Ce qui a vraiment changé avant et après les Jeux, c’est la notoriété, l’image, nous sommes sortis de l’ombre. Auparavant, notre sport avait l’image de riders qui fumaient et buvaient des bières entre deux runs, ce n’était pas du tout la réalité. Le ski freestyle a certes ce côté fun et jeune, mais nous sommes aussi des athlètes qui travaillons beaucoup en salle avant de pouvoir envoyer, comme le font les garçons, des triple ! Il y a des heures et des heures d’entraînement derrière. Nous voulons garder ce côté familial, cette connexion entre les athlètes, qui est bien ressortie durant les Jeux, et faire perdurer au maximum ce mode de vie.

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Concrètement, si tu ne parviens pas à réunir les 10 000€ demandés, pourras-tu encore bénéficier cette saison des services de ta coach Elena Chase ?

Je ne pourrai pas l’amener sur toutes les compétitions. L’hiver, j’habite… sur son canapé (rires), j’ai fait des coupes dans le budget. Avant, j’avais un appartement, j’ai dû réduire les frais. Concrètement, à l’année, cela me coûte 10 000€ pour que ma coach soit avec moi sur les stages et les compétitions hivernales. Cette année, j’aurai ma coach uniquement sur les compétitions et je verrai pour les stages. Si je n’ai pas les financements, je me déplacerai peut-être sans elle en compétition et je ferai au mieux pour les billets d’avion (rires).

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A l’inverse, si ta campagne est un succès, aurais-tu envie de la renouveler ?

L’objectif n’est pas d’avoir à renouveler cette opération, mais de trouver un nouveau partenaire afin d’être « indépendante » et pouvoir donner autant sans demander en retour. J’ai lancé cette levée de fonds car je n’avais vraiment pas le choix. L’été prochain, je coacherai à nouveau au Momentum Camps de Whistler. J’étais en béquilles cet été, donc je n’ai pas pu monter sur le glacier (rires). Il y a beaucoup de choses qui se sont accumulées et qui ont fragilisé mon budget pour cette saison.

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Penses-tu qu’une médaille d’or aux championnats du monde faciliterait ta recherche de sponsors ?

Je fais ce sport depuis dix ans, j’ai quatre médailles aux X Games, une médaille de vice-championne du monde, un globe de cristal, plusieurs victoires en coupe du monde… et je n’ai jamais vraiment vu de grosse différence entre une saison à podium et une saison sans médaille, du côté de nouveaux partenaires. Pour les garçons, il y a certes une vraie influence mais pour les filles, à moins de gagner à chaque fois… Se classer 2e, 3e ou 10e ne change pas grand-chose au niveau des sponsors.

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Quel message voudrais-tu faire passer aux contributeurs de ton projet Fosburit ?

Je voudrais tous les remercier et leur dire que chacun d’entre eux m’accompagnera lors de ma saison, sur tous les runs et toutes les compétitions que je ferai. J’espère les faire rêver sur la plus haute marche des podiums. Nous sommes une équipe désormais. Grâce à eux, ma saison prend un tout autre sens ! Jusqu’à présent, je savais que j’allais être réinvitée sur tel ou tel événement, que j’avais des contrats signés… Cette année, cela pourrait être ma dernière saison en tant que skieuse si je ne retrouve pas de sponsor principal. Je pense que ce soutien va m’apporter une motivation supplémentaire qui, j’espère, me permettra de donner le meilleur. La prochaine fois que je chausserai les skis, ce ne sera pas juste pour moi, mais pour tous ceux qui ont pris et qui vont prendre part à cette aventure. J’espère les rendre fiers (sourire) !

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